Des pratiques intelligentes qui renforcent la résilience des migrants

“Les gens n’abandonnent pas leur maison sans raison. Fuir leur pays est une mesure de dernier recours, lorsqu’il est devenu impossible de rester. Ils laissent derrière eux tout ce qu’ils possèdent et prennent d’énormes risques dans l’espoir que les choses iront mieux ailleurs, loin de leur contexte de danger et de vulnérabilité.”

Elhadj As Sy, secrétaire général de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (17 septembre 2015)

Résumé

Les personnes migrent dans l’espoir de trouver une vie meilleure pour elles-mêmes et pour les membres de leur famille. Comme le définit la Politique de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Fédération internationale) relative à la migration : « les migrants sont des personnes qui quittent ou fuient leur lieu de résidence habituel pour se rendre ailleurs – généralement à l’étranger – en quête de possibilités ou de perspectives meilleures et plus sûres. La migration peut être volontaire ou involontaire, mais, la plupart du temps, elle procède d’un mélange de choix et de contraintes. » Il existe certes des motifs de migration communs, mais chaque personne migre pour ses propres raisons et, souvent, ne prend la décision de quitter sa maison que lorsqu’il ne lui est plus possible de rester. De nombreux migrants sont exposés à des dangers pendant leur parcours, certains représentant une menace pour leur vie.

Le travail auprès et en faveur des migrants vulnérables constitue une priorité de longue date du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Alors que, dans le monde, de plus en plus de personnes se déplacent hors des frontières nationales, il est attendu des organisations humanitaires qu’elles répondent aux besoins de ces populations le long des routes migratoires. Dans ce contexte, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge ont un rôle à jouer dans la fourniture d’une protection et d’une assistance humanitaires aux personnes en détresse, quel que soit leur statut juridique. À de multiples reprises, la Fédération internationale, qui coordonne les activités humanitaires entreprises par les 190 Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, a souligné que la migration constituait l’un des plus grands défis humanitaires auxquels la communauté internationale est confrontée. Comme l’énonce la Politique de la Fédération internationale relative à la migration de 2009, « en s’engageant sur le terrain de la migration, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont pour but – individuellement et avec la Fédération internationale et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) – de répondre aux problèmes humanitaires des migrants qui ont besoin d’aide durant leur parcours. Elles s’efforcent de leur fournir assistance et protection, de défendre leurs droits et leur dignité, de leur donner les moyens de s’autonomiser et de trouver des options et solutions durables, ainsi que de favoriser leur insertion sociale et l’interaction entre eux et les communautés hôtes. »

La Fédération internationale a fait réaliser la présente étude dans le cadre de son mandat consistant à échanger des connaissances et des compétences et à faire en sorte que les Sociétés nationales disposent des connaissances, des ressources et des capacités nécessaires pour soutenir les migrants vulnérables. Le rapport est basé sur des entretiens conduits avec plus de 70 personnes représentant 30 pays, cinq missions réalisées sur le terrain et de vastes travaux de recherche. Il recense 59 pratiques intelligentes répondant aux besoins des migrants tout au long de leur parcours. Il définit également 13 outils de facilitation destinés à aider les Sociétés nationales et les autres acteurs à faire en sorte de disposer des capacités humaines, techniques et financières nécessaires pour recenser les besoins des migrants et y répondre. Le rapport est conçu comme une base de connaissances à l’intention des Sociétés nationales et des autres acteurs pour les aider à élaborer, peaufiner et mettre en œuvre des pratiques intelligentes adaptées à leurs contextes spécifiques. Il ne vise pas à fournir une liste exhaustive des pratiques intelligentes et ne peut donc pas être utilisé pour effectuer une analyse des lacunes. Il ne formule pas non plus de recommandations ni ne fournit de lignes directrices sur la façon de répondre aux besoins spécifiques des migrants. Il présente en revanche des exemples de pratiques utilisées par d’autres acteurs pour répondre à des besoins semblables. Le rapport ne prétend pas constituer une analy

Répondre aux besoins des migrants

La méthodologie suivie pour cette étude – et pour tous les travaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – est fondée sur les besoins des bénéficiaires et vise à atténuer leur vulnérabilité en renforçant leur résilience face aux événements imprévus. Conformément à la Politique de la Fédération internationale relative à la migration, « le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge s’efforce d’adopter une approche intégrée et impartiale et d’associer une action immédiate en faveur des migrants dans le besoin à une aide à plus long terme et qui vise à les rendre autonomes » (Principe 1). Les migrants résilients seront mieux préparés à affronter les risques et à surmonter les chocs imprévus auxquels ils peuvent être confrontés pendant leur parcours. L’analyse tient compte de six dimensions interconnectées de la résilience :

  1. la sécurité réglementaire (lois, politiques et pratiques des acteurs étatiques qui respectent les droits des migrants) ;
  2. le capital financier (des ressources financières suffisantes pendant le parcours et un accès aux services financiers de base) ;
  3. le capital physique (logement, nourriture, santé, eau, accès à l’assainissement, etc.) ;
  4. le capital humain (éducation pour soutenir l’intégration et accès à l’information pour prendre des décisions éclairées) ;
  5. le capital social (réseaux sociaux, y compris membres de la famille, amis, personnes provenant du même pays d’origine, autres migrants, communautés d’accueil, etc., pour favoriser l’intégration au sein de la société) ;
  6. le capital naturel (conditions relatives à la biodiversité, à l’eau, aux terres et aux forêts qui améliorent les conditions de vie).

L’analyse des besoins et des vulnérabilités des migrants a révélé des tendances communes à chaque étape du parcours. Tout au long de leur parcours, les migrants ont besoin de différentes formes de soutien externe. Par exemple, une fois qu’un migrant a décidé de quitter son pays d’origine, la réglementation aux frontières et l’accès à l’information revêtent une importance capitale. Lorsqu’il tente de franchir une frontière internationale, attend dans un camp de migrants ou arrive dans un nouveau pays, le capital physique, comme le logement, la nourriture et l’accès aux soins de santé, devient pour le migrant l’aspect le plus important. Aux étapes finales du parcours, lorsque le migrant s’intègre dans une nouvelle société ou rentre chez lui, sa capacité de générer des revenus (accès à l’éducation et possibilité de travailler) devient vitale. Ce schéma des besoins est commun à tous les migrants, indépendamment des raisons de leur migration ou du lieu où ils migrent.

Cependant, ce schéma est fortement influencé par les caractéristiques et les circonstances personnelles de chaque migrant. Cette combinaison unique de caractéristiques et circonstances intrinsèques et extrinsèques déterminera la vulnérabilité de la personne et peut donner lieu à un besoin de soutien accru. Par exemple, un jeune homme en bonne santé qui voyage pendant l’été pour des raisons économiques accompagné d’un grand groupe sera vraisemblablement moins vulnérable qu’un mineur qui fuit un conflit pendant l’hiver et voyage seul. Tous deux seront vulnérables et auront besoin d’un soutien externe, mais l’ampleur et la nature du soutien dont ils auront besoin seront différentes, en fonction de leurs caractéristiques et circonstances propres.

Pratiques intelligentes présentées dans le rapport

Quatre étapes ont été suivies pour sélectionner les pratiques intelligentes à inclure dans le rapport.

  • Premièrement, les auteurs ont examiné les six étapes du parcours d’un migrant : premières démarches dans le pays d’origine ; transit aux frontières ; séjour éventuel dans des camps de migrants ; régularisation potentielle de son statut à l’arrivée dans un pays ; séjours de longue durée dans le pays de destination (ou des pays intermédiaires) ; retour éventuel dans le pays d’origine.
  • Deuxièmement, ils se sont penchés sur six dimensions de la résilience.
  • Troisièmement, ils ont examiné quatre types de services fournis : assistance, protection, sensibilisation et plaidoyer.
  • Quatrièmement, ils ont vérifié la conformité avec la Politique de la Fédération internationale relative à la migration : toutes les pratiques intelligentes sont axées sur les besoins et les vulnérabilités des migrants (principe 1) et devraient être alignées sur au moins un des autres principes de conception plaçant les migrants au centre des programmes (principes 3 et 4) ou des principes favorisant une mise en œuvre efficace (principes 2, 5, 6 et 7). Une pratique intelligente peut, par ailleurs, être un type d’intervention dans un domaine donné (principes 8, 9 et 10).

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a les connaissances, les capacités et les ressources nécessaires pour améliorer les conditions de vie des migrants vulnérables. Le rapport recense des pratiques intelligentes mises en œuvre dans chaque région, à chaque phase du parcours d’un migrant et pour toutes les dimensions de la résilience. Les 59 pratiques exposées dans le présent rapport constituent une source d’idées susceptibles d’inspirer les Sociétés nationales et leurs partenaires en vue de la mise au point de nouvelles approches destinées à répondre aux besoins des migrants. Plus spécifiquement, ces pratiques portent sur les aspects suivants.

  • Phase du parcours: La plupart des interventions présentées dans le rapport concernent les séjours à long terme dans un pays de destination ou un pays intermédiaire (25 interventions), ainsi que les interventions dans les pays d’arrivée (10), dans les camps de migrants (6) et au moment du transit aux frontières (6). Quelques exemples portent sur les possibilités de soutien dans le pays d’origine (5) et au moment du retour (4), et trois exemples de pratiques intelligentes s’appliquent à plusieurs étapes du parcours des migrants. La nature du soutien dépend souvent de l’étape du parcours migratoire. Pour la plupart des étapes (pays d’origine, camps de migrants, arrivée, séjours à long terme et retour), la majeure partie des pratiques intelligentes recensées sont stables et constantes et visent à fournir des solutions à long terme. La majorité des pratiques, à l’exception de la plupart des interventions à l’arrivée, tendent également à associer les migrants aux solutions. Lorsque les migrants sont en transit aux frontières, les interventions visent à fournir des solutions dynamiques et flexibles à court terme. À l’étape du transit aux frontières, dans les camps de migrants et à l’arrivée, les pratiques intelligentes consistent souvent à fournir un soutien direct aux migrants.
  • Dimension de la résilience: Le rapport recense de nombreuses pratiques qui répondent aux besoins en matière de capital humain (~34 %) et aux besoins physiques (~29 %). Il présente aussi un plus petit nombre de pratiques qui touchent au capital social (~15 %), au capital financier (~12 %) ou à la réglementation et à la gouvernance (~10 %). S’agissant des besoins spécifiques liés aux différentes dimensions de la résilience, de multiples exemples de pratiques portent sur l’accès à l’information, l’éducation et la formation professionnelle, la création de revenus et la santé physique, mais beaucoup moins ciblent le logement, la nourriture, les articles non alimentaires, les filets de sécurité ou l’eau, l’assainissement et l’hygiène.
  • Type de soutien: La plupart des pratiques intelligentes présentées dans le rapport concernent la sensibilisation (21 pratiques), l’assistance (16) et la protection (16). Quelques pratiques enfin touchent au plaidoyer (6).
  • Distribution régionale: Sur les 59 pratiques qui figurent dans le rapport, six proviennent d’Afrique subsaharienne, sept des Amériques, huit d’Asie-Pacifique, 28 d’Europe et dix du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
  • Alignement sur les principes: Les 59 pratiques se concentrent sur les besoins et la vulnérabilité des migrants (principe 1). Au total, 26 sont axées sur les partenariats en faveur des migrants (principe 6) ; 21 sur le soutien aux aspirations des migrants (principe 3) ; 16 sur l’action face aux déplacements de populations (principe 9) ; 15 sur la reconnaissance des droits des migrants (principe 4) ; huit sur l’action tout au long des voies de migration (principe 7) ; six sur l’établissement de liens entre l’assistance, la protection et le plaidoyer humanitaire en faveur des migrants (principe 5) ; quatre sur la fourniture d’une aide au retour (principe 8) ; et trois sur la prise en compte des migrants dans les programmes humanitaires (principe 2)1.
  • Type de partenariat: À quelques exceptions près, les pratiques intelligentes recensées dans le rapport consistent en une collaboration avec des partenaires nationaux. Il existe d’importantes possibilités d’intensifier les initiatives transfrontalières, en particulier dans les pays d’origine, au moment du transit aux frontières, à l’arrivée et au retour.
  • Caractère ciblé ou intégré de l’intervention: La plupart des pratiques intelligentes exposées ici sont des pratiques ciblées (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas intégrées dans des interventions préexistantes). Cela peut s’expliquer par le fait que les acteurs qui ont contribué à l’étude ont probablement évoqué en priorité les initiatives ciblées. Il existe vraisemblablement d’autres initiatives intégrées visant les pays d’origine, les séjours à long terme et le retour des migrants. Dans le cas contraire, les initiatives existantes devraient davantage tenir compte de la question de la migration.

Moyens de renforcer la résilience des migrants

Pour pouvoir efficacement mettre en œuvre des pratiques intelligentes, les Sociétés nationales ont besoin d’un ensemble d’éléments facilitateurs. Ces éléments leur permettront de mettre l’accent sur la migration parmi d’autres priorités concurrentes. Avant toute chose, les Sociétés nationales doivent savoir quels sont les besoins non satisfaits des migrants, sachant qu’une évaluation complète et approfondie de la vulnérabilité exige des capacités humaines, techniques et financières. Une fois que les Sociétés nationales disposent d’une bonne compréhension des besoins, elles doivent là encore mobiliser les capacités humaines, techniques et financières pour y répondre. Il leur sera utile, dans ce contexte, de tirer parti des éléments des contextes politique, social et culturel favorables à l’intervention en faveur des migrants.

Les Sociétés nationales peuvent apprendre les unes des autres et accélérer la mise en place de ces éléments à l’aide d’outils de facilitation. Ces éléments peuvent être une définition claire des rôles et responsabilités, des informations actualisées, des compétences et des ressources adéquates ou un soutien de la part du gouvernement. Parmi les 13 outils de facilitation présentés dans le rapport figurent les systèmes d’alerte précoce, la formation et la préparation des volontaires, ainsi que la création de réseaux et de structures de collaboration.

La Fédération peut aider les Sociétés nationales à surmonter les obstacles qu’elles rencontrent en continuant de favoriser la mise en place des cinq éléments facilitateurs. Pour commencer, la Fédération internationale peut continuer à encourager et à aider les Sociétés nationales à réaliser des évaluations plus complètes des besoins et de la vulnérabilité des migrants dans leur pays, afin de mieux comprendre la nature et la diversité des besoins et des priorités des migrants.

En plus de continuer à diffuser des exemples de la manière dont d’autres acteurs favorisent la mise en place des éléments facilitateurs, la Fédération internationale peut :

  • diffuser des lignes directrices et outils pertinents ; mettre en place des mécanismes pour le détachement de personnel (capacités humaines) ;
  • faciliter l’accès à des experts internes et externes ; intégrer la migration dans les outils et les lignes directrices (capacités techniques) ;
  • fournir un soutien technique et financier pour la mobilisation de ressources ; coordonner des appels conjoints ; créer un fonds d’affectation spéciale pour la migration (capacités financières) ;
  • accroître le soutien aux activités de plaidoyer ; renforcer les efforts destinés à produire un message commun ; jouer un rôle de chef de file à l’échelle mondiale dans le domaine de la migration, en parlant d’une seule voix (contexte politique) ;
  • accroître le soutien aux activités de sensibilisation à l’échelon national et au sein de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (contexte social/culturel).

Conclusions

Le long des routes migratoires, les migrants ont grand besoin d’assistance, et la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge ont un rôle distinct et précieux à jouer en prenant appui sur leurs Principes fondamentaux, leurs plus de 17 millions de volontaires actifs, leur présence mondiale et leur accès aux communautés. En outre, conjointement avec leurs partenaires, les Sociétés nationales ont une expérience très riche à apporter. Cette expérience devrait être mise en avant et diffusée au sein du réseau afin de renforcer la résilience des migrants.

Les 59 pratiques intelligentes et les 13 outils de facilitation exposés dans le rapport ne constituent qu’une fraction de la riche expérience accumulée par les Sociétés nationales et leurs partenaires. Il est important de continuer à faire part des pratiques intelligentes existantes et d’en étoffer la liste.

Travailler dans le domaine de la migration présente toutefois quelques difficultés. La Croix-Rouge et le Croissant-Rouge pourraient tirer parti d’une coordination accrue à cinq niveaux au moins.

  • Plaidoyer: Les Sociétés nationales estiment qu’il est important de diffuser un message fort et unique sur la migration pour encadrer leurs activités.
  • Mise en œuvre: Davantage d’interventions pourraient être mises en œuvre aux niveaux transnational, transrégional, voire mondial.
  • Information : Il faudrait disposer d’un meilleur aperçu de ce que font les Sociétés nationales, de l’impact de leurs activités et d’autres statistiques clés sur les besoins des migrants, afin d’obtenir une vue d’ensemble des activités de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans le domaine de la migration.
  • Connaissances: Il faudrait constituer une base de données plus complète sur la migration en menant des recherches mondiales sur les besoins, les tendances et les caractéristiques communes aux migrants.
  • Apprentissage: Les réseaux régionaux sont utilisés pour diffuser des enseignements tirés, mais il faudrait améliorer les échanges entre les régions. La Fédération internationale se trouve dans une position unique pour renforcer la coordination à ces cinq niveaux et diriger l’intervention aux échelons régional et mondial.